Les traits articulatoires des voyelles
Pour décrire et classer les voyelles du français, on utilise différents traits articulatoires que l’on ramène, à des fins d’analyse, au nombre de quatre : l’aperture, le lieu d’articulation, l’arrondissement et la nasalité.
Aperture
L’aperture correspond au degré d’ouverture de la bouche au moment de la prononciation, ou plus précisément à l’ampleur de l’écartement des mâchoires. En français, on classifie l’aperture selon quatre degrés, qui permettent de définir quatre types de voyelles :
- Fermées : la bouche est presque fermée et la langue est rapprochée du palais. Par exemple, [i], comme dans lit, et [u], comme dans cou, sont des voyelles fermées.
- Mi-fermées : la bouche est légèrement plus ouverte et la langue est plus éloignée du palais que dans le cas des voyelles fermées. Par exemple, [e], comme dans clé, et [o], comme dans paume, sont des voyelles mi-fermées.
- Mi-ouvertes : la bouche est encore plus ouverte et la langue est plus éloignée du palais que dans le cas des voyelles mi-fermées. Par exemple, [ɛ], comme dans sel, et [ɔ], comme dans pomme, sont des voyelles mi-ouvertes.
- Ouvertes : la bouche est très ouverte et la langue est abaissée. Par exemple, [a], comme dans patte, et [ɑ], comme dans pâte, sont des voyelles ouvertes.
Les voyelles mi-fermées et mi-ouvertes sont parfois appelées voyelles moyennes.
Lieu d’articulation
Le lieu d’articulation d’une voyelle correspond à l’endroit le plus resserré du conduit vocal, à l’avant ou à l’arrière de la cavité buccale. Ce trait permet de définir deux types de voyelles :
- Antérieures : le lieu d’articulation est à l’avant de la bouche. Par exemple, les voyelles [i], [e], [ɛ] et [a] sont antérieures.
- Postérieures : le lieu d’articulation est à l’arrière de la bouche. Par exemple, les voyelles [u], [o], [ɔ] et [ɑ] sont postérieures.
Arrondissement
L’arrondissement est le trait qui s’applique aux voyelles produites en utilisant les lèvres comme résonateur secondaire de l’air en provenance du larynx (en plus de la cavité buccale, qui sert de résonateur principal pour toutes les voyelles). Ce trait permet de définir deux types de voyelles :
- Non arrondies : les lèvres sont rétractées vers les côtés et le son est produit sans résonance labiale. Par exemple, [i], comme dans riz, est une voyelle fermée, antérieure et non arrondie.
- Arrondies : les lèvres sont projetées vers l’avant et le son est produit avec résonance labiale. Par exemple, [y], comme dans rue, est une voyelle fermée, antérieure et arrondie.
Dans les langues en général, l’arrondissement est typiquement corrélé au lieu d’articulation : les voyelles antérieures ont tendance à être non arrondies, alors que les voyelles postérieures ont tendance à être arrondies. En français, toutefois, il existe également une série de voyelles antérieures arrondies : [y], [ø] et [œ].
Nasalité
La nasalité est le trait qui s’applique aux voyelles produites en utilisant la cavité nasale comme résonateur secondaire. Ce trait permet de définir deux types de voyelles :
- Orales : le voile du palais bloque l’écoulement de l’air par la cavité nasale et la voyelle est produite sans résonance nasale. Par exemple, [ɔ], comme dans mode, est une voyelle mi-ouverte, postérieure, arrondie et orale.
- Nasales : le voile du palais s’abaisse pour permettre l’écoulement de l’air par la cavité nasale et la voyelle est produite avec résonance nasale. Par exemple, [ɔ̃], comme dans monde, est une voyelle mi-ouverte, postérieure, arrondie et nasale.
Dans l’alphabet phonétique international, une voyelle nasale est notée par le même symbole que la voyelle orale correspondante, surmonté d’un tilde (~).
Il y a quatre voyelles nasales en français standard : une antérieure moyenne non arrondie (comme dans fin), une antérieure moyenne arrondie (comme dans brun), une postérieure moyenne arrondie (comme dans front) et une ouverte (comme dans grand). Dans la Vitrine linguistique, ces voyelles nasales sont notées [ẽ], [œ̃], [ɔ̃] et [ã], leurs réalisations phonétiques habituelles au Québec.
Tableau-synthèse
| Antérieures non arrondies | Antérieures arrondies | Postérieures | |
|---|---|---|---|
| Fermées | [i] | [y] | [u] |
| Mi-fermées | [e] [ẽ] | [ø] | [o] |
| Mi-ouvertes | [ɛ] | [œ] [œ̃] | [ɔ] [ɔ̃] |
| Ouvertes | [a] [ã] | [ɑ] |
Le cas particulier de [ə]
La voyelle [ə], souvent appelée schwa ou chva, est la voyelle généralement inaccentuée que l’on trouve dans des mots comme le ou me. Plutôt qu’un phonème défini par son opposition avec d’autres voyelles du système selon les traits descriptifs habituels, elle correspond simplement au son produit lorsque les cordes vocales vibrent et que l’air s’écoule pendant que les organes de la phonation sont en position neutre.
Pour cette raison, cette voyelle échappe quelque peu à la classification habituelle. Elle n’est ni antérieure ni postérieure, mais centrale. Son aperture est moyenne, mais ni mi-ouverte ni mi-fermée. Enfin, elle est considérée comme non arrondie et orale, mais elle ne s’oppose à aucune voyelle arrondie ou nasale.
Diversité des réalisations vocaliques dans la francophonie
Le système vocalique du français présente des variations considérables d’une aire géographique à une autre. Le nombre même de voyelles qui ont le statut de phonème peut être variable.
En Europe francophone, on observe une tendance à la neutralisation de certaines oppositions. Des paires de voyelles comme [a] et [ɑ], [ẽ] et [œ̃], [e] et [ɛ] sont prononcées de façon identique par bien des locuteurs et locutrices, avec pour résultat la disparition d’une distinction de prononciation entre des paires de mots comme patte et pâte, brin et brun, ferai et ferais. Cette tendance est souvent notée dans les dictionnaires de langue courante, dans les sections consacrées aux phonèmes.
Au Québec, au contraire, la tendance est à la distinction. Non seulement les oppositions entre [a] et [ɑ], [ẽ] et [œ̃], [e] et [ɛ] sont maintenues, mais on y distingue un [ɛ] bref, que l’on trouve dans des mots comme sept, et un [ɛ] long et généralement sujet à une diphtongaison plus ou moins importante, noté [ɛ:], comme dans le mot neige. Cela permet d’opposer des mots comme faite [fɛt] et fête [fɛ:t], prononcés de façon identique ailleurs en francophonie. Pour cette raison, on considère parfois [ɛ:] comme un phonème à part entière au Québec. Il existe d’ailleurs des langues, comme l’allemand, dont le système phonologique oppose systématiquement voyelles brèves et voyelles longues.
Le timbre de certaines voyelles, c’est-à-dire l’ensemble de leurs traits descriptifs, peut aussi être sujet à des variations. Cela est particulièrement vrai des nasales : en effet, puisqu’elles sont peu nombreuses, leur prononciation peut varier davantage sans que le phonème perçu s’en trouve affecté. Au Québec, la nasale ouverte est généralement réalisée comme [ã], et la nasale moyenne antérieure non arrondie, comme [ẽ]; en Europe, elles correspondent généralement à [ɑ̃] et [ɛ̃], respectivement.