Questions fréquentes sur l’emprunt linguistique
Cet article répond aux questions les plus fréquemment posées au sujet de l’emprunt linguistique.
1. Qu’est-ce que l’emprunt linguistique?
L’emprunt linguistique est un procédé qui consiste, pour les usagers et les usagères d’une langue, à adopter intégralement ou partiellement une unité ou un trait linguistique d’une autre langue. Le terme emprunt désigne également un élément introduit dans une langue selon ce procédé. Il est ainsi question, d’une part, du fait d’emprunter et, d’autre part, des mots ou des faits de langue empruntés.
2. Pourquoi emprunter à d’autres langues?
Les locuteurs et les locutrices d’une langue ont rarement conscience du phénomène général de l’emprunt. Ce dernier relève de l’usage spontané. Il est très ancien, et ses origines sont multiples : héritages des contacts de langues lors de lointaines conquêtes, mots introduits par le commerce ou la science, influences réciproques en contexte plurilingue, choix délibérés à des fins stylistiques, etc. De tout temps, les mots ont voyagé d’une langue à l’autre, avec les réalités qu’ils désignent, avec les idées qu’ils véhiculent. Il y a ainsi une multitude de raisons et de façons d’emprunter.
3. Quels sont les différents types d’emprunts possibles?
Il existe plusieurs types d’emprunts, touchant différentes composantes de la langue : lexique, sens, morphologie, syntaxe et prononciation. Les principaux sont expliqués dans la Banque de dépannage linguistique, et plus spécialement au regard des emprunts faits à l’anglais. Ils sont présentés sommairement dans l’article Typologie des emprunts, qui contient par ailleurs des renvois vers des articles plus détaillés sur la question.
4. Comment peut-on reconnaître, en français, un mot ou un fait de langue emprunté?
Il est difficile, voire impossible, de reconnaîtreSelon les rectifications de l’orthographe, on peut aussi écrire : reconnaitre. de nombreux emprunts en français. Certains sont facilement reconnaissables, mais plusieurs passent inaperçus. Par exemple, on associe facilement à l’anglais les mots à finale en ing, mais plus difficilement des emprunts adaptés comme déodorant (de deodorant) et redingote (de riding-coat). Les calques, formés de mots ou d’éléments français, cachent eux aussi très bien leurs origines. Par exemple, c’est le cas de chambreur, construit sur le modèle de roomer, et de souris, dont le sens en informatique est emprunté à l’anglais. Et qui peut connaîtreSelon les rectifications de l’orthographe, on peut aussi écrire : connaitre., sans l’avoir apprise, l’origine espagnole de camarade, embarcation et sieste?
5. Existe-t-il de « bons » et de « mauvais » emprunts?
Le phénomène de l’emprunt est trop complexe pour être abordé simplement en fonction d’une perspective « bon/mauvais ». On peut cependant opposer les emprunts selon qu’ils sont acceptés ou déconseillés, et encore! Les critères qui contribuent à faire en sorte qu’un emprunt est accepté ou non en français peuvent être très variables d’une source à l’autre. De plus, on ne peut aborder l’acceptabilité d’un emprunt en faisant abstraction de la perception qu’en ont les locuteurs et les locutrices d’une langue. Et cette perception peut non seulement varier selon les individus et les régions, mais aussi évoluer au fil du temps.
Retenons au moins que les emprunts ne sont pas tous fautifs ou déconseillés. De plus, certains sont plus facilement reçus dans l’usage que d’autres. On peut notamment penser à ceux qui servent à nommer des réalités considérées, du moins traditionnellement, comme « étrangères » : par exemple, des réalités géographiques (steppe et chinook), des spécificités culturelles (tango et lord), des spécialités culinaires ou des boissons alcoolisées (paellaSelon les rectifications de l’orthographe, on peut aussi écrire : paélia. et whisky).
6. Pourquoi emprunte-t-on autant à l’anglais?
Au cours de son histoire, le français a emprunté au grec, au latin, à l’italien, à l’allemand et à une multitude d’autres langues. Il a d’ailleurs lui-même prêté énormément, y compris à l’anglais. Par contre, l’anglais vient maintenant en tête de toutes les langues prêteuses, dans le contexte mondial actuel où il s’est imposé comme langue véhiculaire des affaires et de la science, notamment.
Il est intéressant de faire le parallèle avec la situation d’une autre époque. À la Renaissance, l’influence de l’Italie s’est fait sentir dans plusieurs sphères, ce qui s’est répercuté sur le français. Les emprunts à l’italien ont alors été très nombreux et ils ont suscité les mêmes craintes et réactions négatives que les emprunts à l’anglais à partir des XIXe et XXe siècles. On les trouve dans divers domaines, tels que l’architecture, les arts, la culture et la guerre : par exemple, balcon, ballet, mascarade et citadelle.
7. Le phénomène de l’emprunt à l’anglais est-il propre au français du Québec?
Le français du Québec et de partout dans la francophonie intègre des emprunts à l’anglais ainsi qu’à d’autres langues. Le phénomène de l’emprunt n’est d’ailleurs pas propre au français : toutes les langues y sont soumises.
Par contre, la situation sociolinguistique des diverses communautés francophones n’est pas identique, et la question de l’emprunt ne se pose pas de la même manière au sein de celles-ci, que ce soit en Amérique, en Europe ou en Afrique.
Il est par ailleurs intéressant de noter que la situation vécue au Québec par rapport à l’anglais n’est pas unique. En effet, on observe des situations comparables ailleurs dans la francophonie. Par exemple, en Belgique et en Suisse, le français est influencé respectivement par le flamand et le suisse allemand, langues avec lesquelles il y est en contact.
8. Y a-t-il une différence entre un anglicisme et un emprunt à l’anglais?
Objectivement, un anglicisme est un emprunt à l’anglais, tout comme un italianisme est un emprunt à l’italien. Toutefois, en raison des nombreuses critiques dont font l’objet les faits de langue empruntés à l’anglais, le terme anglicisme est aujourd’hui connoté. En effet, il en est venu à désigner, très souvent, non plus un simple emprunt à l’anglais, mais un emploi critiqué en raison de son origine anglaise. Compte tenu de cette connotation, et puisque tous les emprunts à l’anglais ne sont pas nécessairement condamnables, le terme plus neutre emprunt à l’anglais est privilégié dans la Banque de dépannage linguistique.
9. Quels sont les critères qui font qu’un emprunt à l’anglais est accepté?
Plusieurs critères peuvent contribuer à l’acceptabilité d’un emprunt. Selon la perspective adoptée, ceux-ci peuvent toutefois différer énormément d’un ouvrage de référence à un autre. Dans l’analyse qu’il fait des mots et autres faits de langues empruntés, l’Office québécois de la langue française tient compte, entre autres, de l’ancienneté d’un emploi, de sa conformité au système du français et de son implantation dans l’usage.
On pourrait penser que les emprunts qui s’intègrent bien au système du français s’implantent mieux dans l’usage et sont plus facilement acceptés que d’autres, plus facilement sentis comme étrangers. Mais ce n’est pas toujours le cas… Par exemple, l’emprunt addiction est bien formé en français; il est répandu en Europe francophone; il demeure déconseillé au Québec, où c’est dépendance qui s’inscrit dans la norme. En revanche, des noms comme baseball et football sont acceptés malgré une orthographe qui ne correspond pas au système graphique traditionnel du français.
Dans la Banque de dépannage linguistique, depuis 2018, les emprunts sont traités en fonction des principes et des critères présentés dans la Politique de l’emprunt linguistique (2017) de l’Office, qui sont appliqués également dans le Grand dictionnaire terminologique.
10. Pourquoi accepter maintenant des emprunts qui étaient autrefois déconseillés?
Au fil du temps, la perception qu’on a d’un emprunt particulier peut changer. Des mots anciennement critiqués ont pu acquérir, pour diverses raisons, leurs lettres de noblesse. L’usage l’emporte très souvent sur les recommandations faites par les autorités linguistiques ou dans certains ouvrages. Ce peut être le cas de certains termes bien implantés et dont l’emploi s’est généralisé dans différents milieux, que ce soit spécialement au Québec ou dans l’ensemble de la francophonie. Par exemple, le verbe contacter (de to contact) a longtemps été critiqué, mais il est aujourd’hui accepté. Cela dit, des emprunts relativement anciens peuvent aussi demeurer critiqués. C’est le cas, par exemple, des québécismes prendre une marche et prendre pour acquis (respectivement calqués sur to take a walk et to take for granted).
De plus, il arrive que des recherches historiques permettent de jeter un éclairage nouveau sur l’origine de mots ou d’expressions qui pourront en quelque sorte être réhabilités. C’est le cas, par exemple, de banc de neige, longtemps considéré à tort comme un emprunt à l’anglais.
11. Est-ce que tous les emprunts à l’anglais qui sont consignés dans les dictionnaires généraux du français sont jugés acceptables?
Les dictionnaires contiennent de très nombreux emprunts à l’anglais. Très souvent, leur origine n’est pas mentionnée, si ce n’est, dans certains cas, dans une rubrique étymologique. Diverses marques d’usage peuvent aussi indiquer l’origine anglaise d’un mot ou d’un sens ainsi que les critiques ou réserves dont il fait l’objet. Plusieurs emplois sont donc consignés dans les dictionnaires, sans nécessairement être considérés comme tout à fait acceptables, du moins dans tous les contextes.
Il convient toutefois de rappeler que tous les dictionnaires et ouvrages de référence n’adoptent pas la même perspective. Un emploi peut ainsi être accepté dans un ouvrage, mais critiqué dans un autre. La consultation de plus d’une source peut donc parfois s’avérer utile, voire nécessaire.
12. Pourquoi, dans la section sur les emprunts de la Banque de dépannage linguistique, traiter uniquement de ceux faits à l’anglais?
Les emprunts à l’anglais ne sont pas systématiquement considérés comme des fautes. Toutefois, ils peuvent représenter une source de difficulté en français, particulièrement dans le contexte sociolinguistique québécois où l’anglais est très présent, ce qui est plus rarement le cas des emprunts aux autres langues. Ainsi, compte tenu de la nature de la Banque de dépannage linguistique et de ses orientations, les articles de la section Les emprunts à l’anglais offrent aux usagers et aux usagères des réponses à leurs questions ou des pistes de réflexion sur le sujet.
13. Les emprunts à l’anglais faits en France ou en Europe francophone sont-ils « meilleurs » que ceux faits au Québec?
On ne peut pas opposer les emprunts faits de part et d’autre de l’Atlantique selon une perspective « meilleurs/pires ». Notons simplement que, à côté d’emprunts partagés par la majorité des francophones, plusieurs sont caractéristiques de certaines régions. Ainsi, comme dans le cas des autres aspects de la langue, les contextes historique et sociolinguistique propres à chaque communauté ont contribué à la mise en place de divers particularismes. À titre d’exemples, mentionnons, comme emprunts caractéristiques du français québécois, lunch, « repas que l’on apporte à l’école ou au travail, notamment », et drave, « flottage du bois »; retenons, comme emprunts caractéristiques du français d’Europe, boots, employé pour désigner des bottines ou des bottillons, ainsi que cranberry, largement répandu dans l’usage et dans le commerce pour désigner la canneberge.
14. Les emprunts à l’anglais sont-ils plus nombreux au Québec qu’en France ou qu’en Europe francophone?
Il est difficile de comparer le nombre d’emprunts en usage de part et d’autre de l’Atlantique. Les francophones du Québec remarqueront, dans la bouche des francophones d’Europe, les emprunts qui leur sont inconnus, et vice versa. Est-ce alors le fait de remarquer les différences qui donne l’impression que la fréquence est plus élevée ailleurs?
On entend parfois que les emprunts à l’anglais sont plus nombreux en France qu’au Québec, sans que cela puisse être vérifié. Certaines personnes pourraient invoquer le fait que, au Québec, on a tendance à préférer, du moins dans certains contextes, des mots français à des mots anglais. Parmi les exemples classiques, retenons courriel, privilégié au Québec par rapport à mail (ou e-mail), qui est peut-être moins marqué en France. Cela dit, mail demeure courant au Québec, du moins à l’oral; et, en France, on emploie aussi, à l’écrit, la forme mél (pour messagerie électronique). On peut également penser au québécisme magasinage, généralement préféré à shopping, qui, lui, est déconseillé au Québec, mais moins marqué et d’usage courant en France.
Certaines personnes plus informées sur la question des emprunts pourraient faire remarquer que les calques, passant généralement inaperçus, sont nombreux au Québec. Le cas du québécisme fin de semaine est intéressant. De nombreux francophones du Québec ont une certaine fierté à l’employer, plutôt que week-end (bien que ce dernier se soit beaucoup répandu, en particulier depuis le début des années 2000). S’opposent alors le calque morphologique fin de semaine et l’emprunt intégral week-end.